La parution récente des « Fossoyeurs », investigation du journaliste Victor Castanet, cible le fonctionnement du groupe d’EHPAD privé Orpea. Au-delà du cas particulier, qui nécessite un traitement spécifique, ce fait divers entraine une mise en lumière médiatique nécessaire sur le secteur gériatrique, son fonctionnement et son système de financement.
Au quotidien, les équipes pluridisciplinaires (aides-soignantes, aides-médico-psychologiques, infirmières, animatrices, médecins-coordonnateurs, psychomotriciens, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, directeurs, personnels administratifs, hôteliers, agents de service, auxiliaire de vie, psychologues…) s’appuient sur leur professionnalisme afin de concilier l’inconciliable : un accompagnement global soucieux des personnes âgées avec des moyens insuffisants ! Les injonctions paradoxales – faire mieux avec moins – créent le terreau de la souffrance et de l’épuisement en empêchant les professionnels de pratiquer leurs métiers. Et si ça fonctionne malgré tout, c’est grâce à l’investissement vocationnel des équipes, surimpliquées jour après jour, auprès des âgés. Le maintien d’une prise en charge « suffisamment bonne » des aînés repose ainsi souvent sur les valeurs individuelles et morales des hommes et des femmes qui travaillent en EHPAD.
Par ce communiqué nous souhaitons alerter, informer et soumettre plusieurs points au débat national
Des personnes âgées de plus en plus fragiles et vulnérables
Le vieillissement de la population et la politique de maintien au domicile décalent l’entrée en EHPAD tout en favorisant l’apparition de situations de vulnérabilité de plus en plus complexes. Les personnes âgées vivant en Ehpad présentent dans leur grande majorité des symptômes multiples, somatiques, démentiels, et psychiatriques.
- En réponse, il est d’autant plus nécessaire de développer des pratiques pluridisciplinaires où chacun, de sa place, participe aux réflexions éthiques quotidiennes.
La crise sanitaire du COVID 19
Dans les institutions gériatriques, les résidents soumis aux restrictions de liberté, à l’isolement et à la rupture des liens ont développé des symptômes psychopathologiques massifs, certains allant jusqu’à se laisser mourir. Les équipes et leur direction ont, quant à elles, pris la mesure de l’impact des angoisses de mort dans les pratiques.
- En réponse, seul un travail collectif de mise en sens, rempart à l’agir, à la dérive sanitaire et sécuritaire, garantit une démarche clinique éthique au fondement des accompagnements de la vie quotidienne des résidents.
Le manque de moyens
Dans son rapport de 2021, la défenseure des droits « constate que le droit à l’accompagnement individualisé et adapté est compromis par le manque de moyens, humains et financiers, des établissements »[1] et recommande un ratio 0,80 effectif à temps plein par résident (0,63 en moyenne en 2015). Le financement des institutions à travers le calcul du GMP et du pathos ne correspond pas au réel des pratiques professionnelles.
- Le ratio de 0,80 etp par résident favoriserait un travail pluridisciplinaire garant de l’approche globale du sujet âgé centrée sur la relation. Nous nous associons aux directions d’EHPAD sur la nécessaire refonte du système de financement des EHPAD.
Quid du contrôle ?
Les établissements gériatriques sont engagés dans une démarche de qualité interne et externe depuis déjà deux décennies. Il est cependant nécessaire de rappeler que les pratiques professionnelles nécessitent d’être pensées avant d’être contrôlées. Force est de constater que les dispositifs d’analyse de la pratique sont insuffisants voire inexistants.
- Il est nécessaire de se décentrer de la technicité, par un travail sur le sens des pratiques, afin de prendre le recul nécessaire et suffisant à l’accompagnement. Ce travail de prévention par un questionnement des pratiques (et non directement des sanctions) est un enjeu majeur auprès des professionnels, et devrait être favorisé et soutenu par les autorités de contrôle.
La place du psychologue ?
Quelle que soit la situation somatique ou sociale, la dimension psychique reste indissociable de l’existence humaine. La place centrale du sujet âgé, la prise en compte de ses choix et de ses désirs restent une orientation majeure de la cause gérontologique. Le rapport de mission de Jeandel et Guerin de juin 2021[2] préconise un ratio de 1 ETP de psychologue pour un EHPAD de 80 places (sans tenir compte des dotations spécifiques UHR, PASA et accueil de jour). Ce ratio est rarement respecté.
- Dans le contexte actuel de crise sanitaire, de l’épuisement des professionnels, de la majoration des souffrances psychologiques des personnes âgées et de l’inquiétude des familles, renforcer la place des psychologues devient un enjeu essentiel tant auprès des soignants, des résidents, des familles et de l’encadrement.
La Fédération Française des Psychologues et de Psychologue
L’Association des Psychologues en Gérontologie en Béarn et Soule
Collège des Psychologues Cliniciens Spécialisés en Neuropsychologie
[1] Défenseur des droits. Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD. France.2021. P13
[2] Pr Claude JEANDEL Pr Olivier GUERIN. Rapport de Mission – Ministère des Solidarités et de la Santé. 25 recommandations pour une prise en soins adaptée des patients et des résidents afin que nos établissements demeurent des lieux de vie. Paris. Juin 2021. P52