Communiqué : Les psychologues et le remboursement des actes : toute une histoire…

Grand bruit dans le Landernau des psychologues : deux expérimentations sont en cours pour le remboursement d’actes de psychologues dans le cadre de la souffrance des jeunes1 et de la prise en charge des troubles en santé mentale d’intensité légère à modérée2.

L’expérimentation de la prise en charge de la souffrance psychique des jeunes.

De quoi s’agit-il ?

En octobre 2016, Madame Delaunay, alors députée socialiste, demande la possibilité d’une expérimentation sur le remboursement des consultations de psychologues pour les jeunes de 6 à 21 ans. Depuis, un décret3 en mai 2017 a mis en œuvre cette expérimentation et deux arrêtés sont venus préciser, l’un4, en mai, les territoires concernés et le dernier en décembre1, le cahier de charges.

Sont concernées : Trappes et Les Mureaux pour le département des Yvelines ; Garges-lès-Gonesse, Sarcelles, Goussainville et Villiers-le-Bel, pour le département du Val-d’Oise ; les départements sont : Loire-Atlantique et Maine-et-Loire pour les Pays de Loire, et Ardennes, Haut-Rhin, Meuse et Vosges pour le Grand Est.

Ces territoires ont été identifiés, selon l’arrêté, « par la mission Bien-être et santé des jeunes, comme ayant des bonnes pratiques de collaboration entre santé et éducation nationale et, par les ARS en lien avec les rectorats d’académie. Sur chaque territoire doit être présente une maison des adolescents. » Sur les 4 ans de la durée de l’expérimentation, 1500 jeunes âgés de 11 à 21 ans (soient 500 par région) pourront ainsi être pris en charge. Le dispositif prévoit une prise en charge d’un maximum de 12 séances par personne. Le montant de la consultation est fixé à 32 euros.

Ce qui fâche :

  • Alors que le psychologue s’avère être le principal professionnel intéressé, sa représentation dans les comités de pilotage national et régionaux se résume à sa portion congrue : un psychologue (SNP) pour le National, et un psychologue ayant adhéré à la charte de l’expérimentation. L’essentiel des représentants appartiennent au corps médical .
  • Le passage obligé par le médecin évaluateur des territoires concernés ou limitrophes passage qui alourdit la procédure et ne va pas dans le sens d’un accès facilité pour le jeune.
  • La prescription : les psychologues ne sont pas des paramédicaux et ne travaillent pas sur prescription. Il a été impossible de penser le dispositif en termes d’orientation et d’adresse. Le pouvoir professionnel des médecins en France a prévalu, une fois de plus.
  • La méconnaissance et la suspicion sous-jacentes au cahier des charges : le repérage des signes de la souffrance psychique et l’évaluation globale du jeune doit passer par le médecin généraliste ou psychiatre, faisant fi des connaissances des psychologues et du contenu de leurs études en la matière. Pour l’usage du titre de psychothérapeute pour le psychologue, le législateur s’est appuyé sur la reconnaissance de sa formation sur les questions de psychopathologie clinique.
  • Si le montant de la consultation du médecin évaluateur est « facturée comme une consultation complexe (46 euros) », celle du psychologue (32 euros) « ne peut faire l’objet de dépassement à la charge du jeune ou de ses TAP5 ». Ou bien le Ministère sait d’avance que 32 euros la consultation à laquelle s’ajoute le travail des comptes-rendus exigés sont insuffisants ou bien il soupçonne d’emblée les psychologues de procéder à des dépassements… mais pas les médecins !!!

L’expérimentation sur la prise en charge des troubles en santé mentale d’intensité légère à modérée pour les adultes.

De quoi s’agit-il ?

De nombreuses études, dont celle de Dezetter et Briffault6, ont montré l’efficacité de la prise en charge psychologique sur les troubles anxieux, dépressifs et leur moindre coût pour le système de soins. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé7 parues en octobre 2017 préconisent la psychothérapie, de même que de nombreuses recommandations internationales. Force est de constater que nous restons un pays où le taux de consommation de psychotropes se révèle parmi les plus élevés d’Europe avec une réponse du système de soins inadaptée qui reste ancrée dans le médical.

Une expérimentation par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie est lancée sur les départements des Bouches-du-Rhône, de la Haute-Garonne et du Morbihan pour les adultes de 18 à 60 ans présentant « soit une plainte orientant vers un trouble dépressif ou anxieux ou un trouble de l’adaptation d’intensité légère à modérée, soit une plainte qui peut revêtir une autre forme (syndrome médical inexpliqué) ».

Ce qui fâche :

  • Le nombre de passages par le médecin généraliste dans le déroulé de la prise en charge : une première évaluation clinique permettant l’inclusion, puis après une consultation d’évaluation également par le psychologue, une deuxième consultation chez le médecin généraliste pour la prescription qui ne peut dépasser dix séances. Après ces dix séances, sans amélioration suffisante, à nouveau rendez-vous chez le médecin et éventuellement un psychiatre pour une prescription d’un maximum de dix séances de psychothérapie structurée. C’est méconnaître la compétence professionnelle du psychologue à repérer les signes de dépression ou d’anxiété et à arrêter une prise en charge lors d’une amélioration.
  • Les tarifs pratiqués8 :
    Tarifs des séances prises en charge par l’Assurance Maladie :Code acteEntretien d’évaluation1 séance de 45 min. environ32 €EEPAccompagnement psychologie de soutien1 à 10 séances de 30 min. environ22 €APSPsychothérapie structurée1 à 10 séances de 45 min. environ32 €PSS
    Ces tarifs comprennent les documents de synthèse que le psychologue doit envoyer au médecin, après la première évaluation et suite à l’accompagnement de soutien. Pour référence, les consultations des sagefemmes coûtent entre 33, 60 et 42 euros, celles des psychiatres 43,70 euros9… et un massage de 30 mn par une esthéticienne, 50 euros !!!

L’intérêt et les limites de ces deux expérimentations :

L’intérêt est, sans conteste, l’ouverture faite à ces remboursements des consultations de psychologues tant attendues par les usagers et les professionnels. Le cadrage d’une expérimentation par la mise en place d’un protocole n’est pas en cause. Mais la non représentativité des psychologues – un membre du SNP (sans remettre en cause la compétence de nos collègues) ne suffit pas pour une expérimentation qui concerne au premier chef les psychologues -, entraîne une non prise en compte de la réalité de terrain et de la formation initiale des psychologues.

Le pouvoir professionnel et politique des médecins, historique et spécifique à notre pays, s’appuie sur un triptyque : monopole des soins, autonomie dans la pratique médicale et position hiérarchique dominante. Les contraintes financières et les déserts médicaux amènent le ministère de la santé à penser des dispositifs autres. La cotation des actes de psychologues pourraient amener les hôpitaux généraux, dans le cadre de la T2A10, à embaucher des psychologues qui, enfin, pourraient « rapporter » financièrement.

Par contre, la précarisation massive des psychologues travaillant dans la FPH11 (CDD, temps partiel, salaire non revalorisé depuis plus de 25 ans…) peut inciter les psychologues à se tourner vers le libéral, une tendance très contemporaine du rapport au travail, dans un contexte d’épuisement professionnel dans les services de soins hospitaliers. Or, le manque de psychologues en CMP12 reste majeur et les établissements toujours rétifs à embaucher.

Si ces deux expérimentations peuvent être considérées comme une avancée, la méthode de consultation pour leur mise en œuvre et le déroulé de la prise en charge, médico centrée, ne prend en aucun cas en compte la spécificité de ce type de prise en charge. Dezetter et Briffault6 ont basé leur une étude sur une consultation à 41 euros (avec un remboursement RO13 à 60%, soit 24 euros et RC14 à 40%, soit 16,40 euros), considérant le travail d’une consultation de psychologue plus proche de celle du psychiatre que d’autres auxiliaires médicaux (que nous ne sommes pas, faut-il encore le rappeler !).

Enfin, avoir pensé ces expérimentations selon le seul modèle médical et la branche maladie manque sérieusement d’innovation et de créativité.

En conclusion :

Si de nombreux psychologues s’insurgent et signent une pétition, d’autres vont néanmoins s’engager dans ces expérimentations, car ils y sont favorables. Il s’agit maintenant, pour la FFPP, de créer un suivi et un observatoire de ces expérimentations afin de pouvoir faire des propositions réalistes et respectueuses de notre profession, au regard d’autres modèles européens.


1https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/12/19/SSAP1706962A/jo/texte2 “Guide pratique à destination des psychologues cliniciens et des psychothérapeutes : Prise en charge par l’Assurance Maladies des thérapies non médicamenteuses – Dispositif expérimenté dans 3 départements”. Document disponible en pdf ci-dessous.3https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2017/5/5/AFSP1704616D/jo/texte/fr4https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/5/5/AFSP1706386A/jo/texte5 Tuteur de l’Autorité Parentale6http://www.cermes3.cnrs.fr/fr/component/endnote3/publication/292?a=117https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-10/depression_adulte_fiche_de_synthese_pec.pdf8 “Guide pratique à destination des psychologues cliniciens et des psychothérapeutes…” (cf. note 2)9 Référence site Améli10 Tarification à l’activité11 Fonction Publique Hospitalière12 Centre Médico Psychologique13 Régime Obligatoire14 Régime Complémentaire

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